Koura-Rosy Kane, strategiste et fashion consultant

par | 11 juin 2025 | Podcast

Koura Rosy Kane, stratège et consultante, veut déconstruire le langage de la mode et le rendre plus inclusif. Cet article met en lumière sa vision, du manque de diversité à la réinvention du regard porté sur le continent.
Koura-Rosy Kane


Déconstruire le narratif dominant

Dans le tourbillon incessant de la mode, où les tendances éphémères succèdent aux injonctions esthétiques, Koura-Rosy Kane trace son chemin. Strategiste et fashion consultant, fondatrice de l’agence Platform, et passionnée par les “Fashion and Cultural Studies”, Koura Rosy représente la nouvelle garde qui œuvre à la décolonisation du langage de la mode et à une représentation plus inclusive des populations. Dans cet entretien exclusif pour Africa Fashion Tour, elle raconte son parcours et partage sa vision unique qui défie les clichés et réinvente le regard porté sur un continent créatif en pleine effervescence.

Experte en analyse de tendances

Loin des sentiers battus, Koura Rosy Kane a tracé son chemin avec une détermination sans faille. Dès la fin de ses études, un double cursus en communication digitale et sociologie, elle fait le choix audacieux du freelance, une voie singulière qui lui offre la liberté d’explorer des approches novatrices. Son parcours la mène des prestigieux cabinets de tendance comme WGSN et The Future Laboratory à des magazines influents tels que Dazed et Metal Magazine. Ces expériences forgées à Londres, aux États-Unis et au Canada, loin du cadre français qu’elle jugeait alors “arriéré” dans les disciplines prospectives, lui permettent d’acquérir une expertise pointue en matière de trend forecasting, research et foresight.

Mais c’est son installation au Sénégal, où elle a vécu plus de quatre ans, qui marque un tournant décisif dans son parcours et son expertise. C’est sur le continent qu’elle affûte son regard ethnographique, étudiant sur le terrain l’organisation, les valeurs et les mécanismes des milieux créatifs locaux. Cette immersion lui ouvre les portes des scènes créatives d’Afrique de l’Ouest, puis du continent dans sa globalité, nourrissant son approche des African Studies et Cultural Studies.

Koura-Rosy Kane Talk

L’agence Platform, une voix pour la mode alternative

Au-delà de ses missions de consultante, Koura Rosy Kane est la force motrice derrière Platform, une agence qu’elle a lancée en 2018. Initialement un magazine de curation mettant en avant les marques émergentes, Platform a progressivement évolué pour devenir une agence de conseil dédiée aux talents émergents et à la mode alternative. L’objectif est clair : donner une voix et une place à des narrations et à des discours qui s’opposent au courant dominant du secteur de la mode.

« Le but, c’était vraiment de pouvoir engager la discussion sur quels sont les fondements du secteur ou de la mode hors du Western gaze, du European gaze, sans prendre en compte le modèle dominant autour de la mode », explique Koura Rosy. Elle œuvre ainsi à démocratiser la mode, prouvant qu’elle ne se limite pas aux grandes capitales occidentales, mais qu’elle se développe de manière unique dans chaque contexte et culture. Platform accompagne les marques de bout en bout, de la recherche culturelle et ethnographique à la stratégie marketing et de communication, en passant par le développement des collections, toujours avec l’ambition de soutenir les initiatives indépendantes.

Déconstruire le narratif dominant dans la mode

Le combat de Koura Rosy pour la décolonisation des narratives est intrinsèquement lié à son histoire personnelle. En tant que femme noire d’origine sénégalaise et guadeloupéenne, elle a ressenti le manque criant de représentation dans les magazines et les campagnes de mode. « Lorsque j’ai commencé à vouloir travailler dans la mode, je me suis dit que mon objectif, c’était que les générations après moi, ou alors moi ou nos générations, ne soient pas réprimées, n’aient pas à subir cela, n’aient pas à se dire ‘pourquoi je ne suis pas représentée ?’ » confie-t-elle.

Elle dénonce la « censure » et le « lissage » omniprésents dans la représentation des corps noirs, ainsi que les « traumas » engendrés par des images « dégradantes » et « grossières ». Koura Rosy n’hésite pas à citer des exemples concrets qui ont marqué l’industrie, tels que l’appropriation culturelle manifeste de Dior dans une de ses collections croisière, où des tissus africains étaient utilisés sans crédit ni retombées économiques pour les communautés. Elle évoque également le scandale des dreadlocks de Marc Jacobs, l’éclaircissement ou l’assombrissement des peaux des mannequins noirs, ou encore le « tokenisme », cette pratique consistant à inclure une personne racisée dans une image pour masquer un manque de diversité au sein des organes décisionnels des entreprises. « La diversité s’arrête vraiment en termes d’images, c’est-à-dire qu’elle ne traverse pas les organes décisionnels dans les bureaux », insiste-t-elle.

Pour Koura Rosy, il est impératif de « dépasser ces mécanismes qui étaient normalisés dans le secteur de la mode » et de travailler à un « changement systémique profond ». Elle prône l’autonomisation du discours : « J’ai voulu vraiment dépasser ces mécanismes qui étaient normalisés dans le secteur de la mode pendant un très long moment et qui le sont encore aujourd’hui. On n’est pas sortis de l’auberge. Je veux dire, le changement systémique est encore pas loin. »

L’Afrique, une source d’inspiration inépuisable

Son expérience au Sénégal a été une véritable « révélation » pour Koura Rosy. Elle y a découvert une autre manière de vivre, loin des standards occidentaux, où le sens de la communauté et une communication corporelle plus naturelle priment. « Quand je suis en France, je m’ennuie parfois beaucoup. C’est des réalités qui sont… Il y a beaucoup d’opportunités en France, je ne dis pas le contraire. Cependant, la vie, j’ai l’impression d’avoir redécouvert… la vraie vie quand je suis allée en Afrique de l’Ouest », partage-t-elle avec émotion.

Cette immersion lui permet d’interpeller les entreprises occidentales désireuses d’investir sur le continent : « Il ne va pas falloir le faire de manière néocoloniale. Il va falloir venir avec une conscience que ces personnes ont leur propre modèle, que vous n’essayez pas de les changer, que vous essayez au pire de les soutenir. »

Koura Rosy Kane s’engage activement dans la création d’« espaces de discussion » physiques, comme le panel qu’elle a organisé lors de la Biennale de Dakar. Ces événements visent à « engager la discussion sur quels sont les fondements du secteur ou de la mode hors du Western gaze, du European gaze », en invitant des experts aux pratiques et aux points de vue variés pour redéfinir les esthétiques et les narratives endogènes.

À long terme, elle aspire à contribuer à la régulation et à la protection légale des biens culturels africains, garantissant que leur utilisation par des acteurs externes se fasse dans le respect et la juste rétribution. « Développer des policiers qui peuvent protéger les communautés sur le continent et pouvoir être toujours dans l’échange, pourquoi pas, mais le respect le plus important et surtout pouvoir faire en sorte qu’il n’y ait pas de dégradation des biens culturels », affirme-t-elle.

Une voix essentielle pour une mode plus inclusive

Koura Rosy Kane incarne cette nouvelle génération de professionnels qui, armés de leur expertise et de leur engagement, œuvrent à une transformation profonde de l’industrie de la mode. Son travail de déconstruction des systèmes établis et de promotion des narratives alternatives est essentiel pour une représentation plus juste et inclusive. En challengeant les idées reçues et en ouvrant des portes de l’intérieur, campagne après campagne, édito après édito, et initiative après initiative, elle contribue activement à faire bouger les lignes.

Son parcours et sa vision rappellent l’importance de décentrer le regard, de comprendre la richesse et la diversité des modes africaines, et de soutenir ceux qui, comme Koura Rosy Kane et le podcast Africa Fashion Tour, s’emploient à diffuser ces histoires encore trop souvent invisibilisées. Le continent africain, avec ses 54 pays et la multitude de ses cultures, est une source inépuisable d’inspiration et d’innovation. Il est temps de lui donner la place qu’il mérite sur la scène mode mondiale.


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Des histoires de mode africaine

Chaque épisode est une invitation à voyager en Afrique. Dans un monde où les algorithmes ont tendance à réduire la variété des contenus diffusés, Africa Fashion Tour veut amplifier la voix des créatifs  du continent africian. L’ambition de ce podcast est aussi de déconstruire les à priori sur la mode africaine qui ne saurait se limiter aux clichés du wax et du boubou.
Ces interviews sont des opportunités pour comprendre l’écosystème de la mode africaine et appréhender les challenges rencontrés par les professionnels du secteur. Nos petits gestes à fort impact pour donner de la force, abonnez vous, laissez un avis et partager votre épisode préféré.