Balmain, Louis Vuitton, Saint Laurent et Naomi Campbell réunis pour un shooting exceptionnel à Lagos réalisé par un artiste contemporain africain
Prince Gaysi est un jeune artiste plasticien ghanéen reconnu pour son identité artistique unique. Ses œuvres ont été exposées à Paris, Londres, Miami et à Cape Town. Sa grandissante notoriété fait voyager la culture africaine au-delà des frontières du continent aux 54 pays. Basé à Accra, il utilise son art pour représenter des marginaux invisibilisés et challenge les standards de beauté en réalisant des portraits de femmes et d’hommes noirs. Comment a-t-il développé sa technique ? Grâce à son téléphone portable.
Il fait un usage de la couleur et de la lumière qui donne un caractère particulier à ses visuels. La couleur est comme « une thérapie, un moyen de traiter la dépression et de transformer les émotions », décrit l’artiste. Récemment, Prince Gaysi a travaillé en collaboration avec Naomi Campbell dans le cadre d’un shooting pour la couverture de Madame Figaro. Des pièces des collections de Balmain, Saint Laurent et Louis Vuitton ont été prises en photo par le jeune artiste à Lagos, la capitale de la mode du Nigeria. Naomi Campbell pose en compagnie d’Alpha Dia, un mannequin sénégalais : un parti pris fort pour le magazine. L’opportunité d’offrir un nouveau décor et d’apporter une touche artistique peu conventionnelle à l’exercice de l’édito mode.
L’audience de Madame Figaro sera-t-elle réceptive à cet éclat de couleur ? La question est posée. Quand ces initiatives deviennent des succès commerciaux, alors il n’y a plus de doute sur le potentiel de vente de la créativité made in Africa.
Il s’agit de solliciter des professionnels basés sur le continent et d’envisager des collaborations audacieuses et respectueuses. Maisons de luxe et magazines de renom entretiennent des relations privilégiées avec des photographes et des mannequins. Le quête de nouveaux talents répond à une noble démarche de diversité et à la nécessité de renouveler le storytelling.
Dans un contexte digital de profusion d’images, il devient indispensable de sortir du cercle fermé des habitués pour proposer un contenu qui marque les esprits. L’Afrique est une destination idéale pour recruter de nouveaux talents et les intégrer à des projets créatifs. Il ne s’agit pas de s’inspirer mais de travailler en collaboration, de confronter des perspectives et de créer de nouveaux horizons.
Les réseaux sociaux sont devenus de véritables lieux d’exposition accessibles et gratuits pour les promouvoir l’art contemporain africain
Il est important pour un artiste de piloter habilement le rythme de ses apparitions et de privilégier les collaborations qui contribuent à asseoir sa crédibilité. Certains artistes préfèrent rester dans l’univers encadré des musées et des expositions d’art. D’autres profitent de l’avènement des réseaux sociaux pour entretenir un nouveau genre de relation avec les amateurs d’art. Ils partagent directement leur dernière pièce sur Instagram, ils réalisent des performances live, ils échangent directement en ligne avec des acquéreurs potentiels et des passionnés.
Est-il possible de préserver le caractère luxueux de son art quand on publie ses œuvres sur les réseaux sociaux ?
Fred Ebami, artiste visuel franco-camerounais, a développé sa notoriété en ligne à travers des expositions dans des lieux prestigieux. Il est rapidement devenu une référence du pop art digital et de l’art contemporain africain. Gagnant la reconnaissance internationale avec des œuvres cotées par l’Hôtel de ventes de Monte Carlo, il navigue librement entre l’univers institutionnel des musées et Instagram, où il dévoile régulièrement des œuvres originales et exclusives. Un feed tel un lieu d’exposition. Fred Ebami détourne des objets et des images de la pop culture pour faire passer des messages. Il crée un véritable espace de discussions ouvert en continu et aborde des thématiques de société, rend hommage à des défenseurs des libertés comme Nelson Mandela.
Son choix de couleurs rappelle les comics des super-héros. Des visuels qui marquent les esprits, que l’on a envie d’enregistrer et de partager. Depuis plusieurs années, il réagit à l’actualité à travers le design tout en cherchant depuis toujours à rendre son art accessible. Fred Ebami n’aime pas l’idée d’être référencé spécifiquement comme un artiste contemporain africain mais reste conscient que cette étiquette peut faire bouger les lignes et offrir des opportunités à ses pairs originaires du continent.
Alors, il utilise cette étiquette pour proposer sa vision du monde et challenger les à priori et les idées reçues. Une manière d’explorer la complexité de ceux qu’il considère comme des icônes des temps modernes avec leur réussite et leur faiblesse. De John Fitzgerald Kennedy à Kanye West, son art traverse le temps et nous invite à reprendre nos cours d’histoire avec une perspective africaine. Il dresse les portraits de figures emblématiques avec une modernité inattendue. Ainsi, on peut retrouver, sur son compte Instagram, les représentations de Thomas Sankara, l’un des pères fondateurs de l’idéologie panafricaine et de Denis Mukwege, le gynécologue récompensé par le prix Nobel de la paix en 2018 pour son action auprès des femmes violées durant la guerre au Congo.
En 2012, Fred Ebami dévoile une pièce intitulée « The Kiss », inspirée de Roy Lichtenstein et représentant le baiser de deux amants masqués. Surprenant écho à l’actualité récente. Les codes couleur vifs qui caractérisent son style donnent de la légèreté à des messages puissants. Les réseaux sociaux viennent contribuer à une forme de démocratisation du luxe. Le lien de proximité créé avec la communauté en ligne est réel mais il ne faudrait pas s’y tromper, une hiérarchie des artistes et des œuvres demeure, entretenue par des marchands d’art et des collectionneurs qui veulent que la valeur de leur patrimoine continue d’augmenter.
Le rôle des marchands d’art dans l’exposition grandissante des artistes contemporains africains
Parmi les acteurs essentiels de la promotion de l’art africain, il est indispensable d’évoquer le rôle des galeristes, des organisateurs d’événements et des marchands d’art. Le business de l’art est organisé en cercle fermé avec des autorités qui en définissent les règles. Ces autorités sont souvent occidentales et l’art venu du continent africain n’a pas toujours trouvé sa place dans la hiérarchie des œuvres cotées et reconnues mondialement. Chaque exposition est un bras tendu vers la prochaine. Certaines œuvres voyagent à travers le monde et n’ont pas vocation à être vendues, elles appartiennent au patrimoine culturel d’un pays. Ces pièces sont hors marché, une forme de luxe ultime, inaccessible. Les acquéreurs de certaines œuvres, les plus rares, ne dévoilent jamais leur identité. Une caractéristique essentielle du commerce de l’art, considéré comme un véritable investissement financier. Les intermédiaires entre les artistes et les collectionneurs sont des passeurs de code. Ils contribuent à entretenir le prestige des artistes et la préciosité de leurs œuvres.
Nomaza Nongqunga Coupez a fait le pari audacieux de la promotion de l’art contemporain africain en France avec sa plateforme Undiscovered Canvas. Cette femme d’affaires d’origine sud-africaine, installée à Nice, raconte des histoires d’art passionnantes sous forme de reportages vidéos, d’articles publiés sur son site internet et d’expositions dans des lieux de renom de la French Riviera. Le coup d’arrêt brutal des exhibitions avec la crise sanitaire a été l’occasion de faire évoluer son business model. Elle a décidé de créer une boutique de vente en ligne d’éditions limitées à prix accessibles et affichés. Ces capsules inédites ont été réalisées par ses protégés les plus cotés originaires d’Afrique du Sud et du Nigeria. Cultiver l’exclusivité tout en facilitant l’accessibilité, c’est l’art de la vente de luxe en ligne.
Alors que la culture du secret des tarifs est entretenue depuis toujours par les acteurs du marché de l’art, sa boutique en ligne se différencie par une transparence rafraîchissante. On y trouve des pièces uniques à moins de 500€ et on a également accès à une sélection de tableaux plus coûteux. Nomaza Nongqunga Coupez a identifié une cible de collectionneurs débutants désireux de soutenir des artistes et d’acquérir des pièces originales comme objet de décoration. Ils ont été les premiers consommateurs de ce drop exclusif. Elle a été surprise de constater que des collectionneurs plus expérimentés étaient également prêts à consommer de l’art en ligne. Ainsi, elle a pu vendre via son site des pièces originales valant plusieurs milliers d’euros. Son travail minutieux de sélection d’artistes et de pièces est reconnu par ses pairs. Le développement des partenariats avec des galeries à New York et à Londres lui a permis d’étoffer son réseau de collectionneurs.
La récente période a été propice aux recherches de nouvelles formes de collaborations, au partage de carnets d’adresses entre les dealers d’art. L’absence d’opportunités de ventes physiques a eu un impact sur le prix des œuvres. Les frais engagés pour organiser des expositions ou participer à des foires ont disparu. Les commissions ont baissé. Les collectionneurs ont saisi cette opportunité pour faire des affaires. La digitalisation de la vente de l’art contemporain africain semble être la voie de l’avenir pour rayonner sur le continent et au-delà de ses frontières.
L’art est un témoin de l’histoire, précieusement gardé, parfois caché, toujours convoité. C’est un marqueur d’identité. En 2020, un texte de loi a été voté en France concernant la restitution de biens culturels africains à la République du Bénin et à la République du Sénégal. D’autres pays européens ont déjà entrepris le processus de restitution des œuvres africaines à leur pays d’origine. Cette initiative politique ouvre le champ des possibles quant à l’organisation d’expositions exclusives sur le continent africain, qui retraceraient une histoire africaine méconnue.
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