Anne Grosfilley décrypter les textiles africains pour valoriser les savoir-faire du continent
Des motifs vibrants du wax aux tissages complexes du Kenté, les textiles africains racontent des histoires riches et diversifiées. Anne Grosfilley, anthropologue passionnée, nous plonge au cœur de cet univers fascinant, révélant la profondeur culturelle et identitaire qui se cache derrière chaque fil. Docteure et spécialiste du textile et de la mode en Afrique, consultante et commissaire d’exposition reconnue, cette experte partage avec nous son parcours, ses recherches et son engagement pour la valorisation des savoir-faire africains.
Pour Anne Grosfilley, l’anthropologie est une exploration des liens qui unissent les cultures. “Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on a en commun”, explique-t-elle. Son travail ne s’inscrit pas dans la recherche d’une certaine forme d’exotisme vis-à-vis de l’Occident. Le textile est au centre de ses recherches. En effet, le textile, en tant qu’enveloppe du corps et première forme d’écriture de l’humanité, offre un prisme unique pour comprendre les sociétés. “Le textile, c’est la mémoire des peuples”, affirme-t-elle, soulignant l’importance des motifs, des bijoux et des scarifications comme autant de signes porteurs de sens.
Docteure en anthropologie
Son intérêt pour les textiles africains a débuté avec le wax. “Je trouvais très paradoxal le fait que des femmes immigrées d’origine nigériane ou ghanéenne portent du wax faits localement, donc en Angleterre, pour exprimer leur africanité.” Cette observation l’a conduite à explorer les “paysages textiles africains” dans leur ensemble, au-delà du seul wax. Grâce à une allocation de recherche du CNRS, elle a mené des recherches sur le terrain dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest. Cette immersion lui a permis de découvrir la richesse des savoir-faire artisanaux et la haute couture africaine, avec des créateurs qui “changeaient complètement le rapport au textile et le rapport au corps”.
Culture Pagne, un projet de transmission et de valorisation des savoir-faire textiles africains
Son projet actuel, Culture Pagne, soutenu par la Maison de l’Afrique, vise à valoriser ces savoir-faire à travers une série de films. Avec une équipe incluant son époux, l’historien Claude Boli et la réalisatrice Lisa Cruz, le projet ambitionne de toucher un large public, notamment les jeunes générations et les diasporas.
En effet, cette initiative est née d’une rencontre à Abidjan, lors du festival Abidjan Pagne. Suite à une conférence d’Anne Grosfilley, le directeur de la Maison de l’Afrique, Youssouf Camara, et Ambre Delcroix, une journaliste spécialiste du continent ont souhaité donner une plus large diffusion à son travail. Initialement envisagé comme un podcast, l’idée a évolué vers un format audiovisuel, tirant parti de la riche collection de tissus, de métiers à tisser et d’outils textiles accumulés par Anne Grosfilley au fil de ses recherches.
L’objectif principal de Culture Pagne est de valoriser les savoir-faire textiles africains, souvent menacés de disparition par le manque de reconnaissance et la concurrence. “J’ai tous ces outils d’origine (…) et c’est pas dans un esprit de collectionneur, mais c’est plus un esprit de preuve (…) parce que malheureusement ça fait plus de 30 ans que je travaille sur ces sujets là et il y a beaucoup de choses qui ont disparu par manque de valorisation de ces savoirs faire”, explique Anne Grosfilley.
Ainsi, Culture Pagne est une série d’une quinzaine d’épisodes, dont trois sont déjà montés. Chaque épisode explore une technique ou un thème spécifique, comme le tissage, la teinture indigo, les toiles d’Abomey, le bogolan, la teinture, le wax, la haute couture africaine, les perles et les parures. De plus, Thomas, le fils d’Anne, âgé d’une quinzaine d’années participe à la création de ce contenu et apporte un regard plus jeune et spontané.
Le wax est-il africain ?
Cette question est au cœur des recherches d’Anne Grosfilley. Son intérêt pour ce tissu a débuté dès l’adolescence, lorsqu’elle a découvert qu’il était fabriqué en Europe pour les marchés africains. “Ce qui m’a intéressé, c’est quand j’ai découvert à l’adolescence en fait que le wax était fabriqué en Europe pour les marchés africains, alors que pour moi C’était un tissu africain”, confie-t-elle.
Cette découverte a suscité un questionnement sur les rapports entre l’Europe et l’Afrique, et l’a conduite à mener des recherches approfondies sur le sujet. Elle a voulu explorer les origines de ce tissu importés et explorer les tissus fabriqués en Afrique. De fait, elle a élargi son champ de recherche à l’ensemble des savoir-faire artisanaux africains.
Le wax, bien que fabriqué en Europe, est devenu un élément important de la culture vestimentaire africaine, adopté et réinterprété par les femmes africaines. Il témoigne des échanges culturels et commerciaux entre les continents, et de la capacité des cultures africaines à s’approprier et à transformer des éléments extérieurs pour exprimer leur propre identité.
Transmettre et éduquer
A travers des livres, des expositions et bientot une série documentaire, l’ambition d’Anne Grosfilley vise ainsi à combler un manque de ressources adaptées aux jeunes et aux diasporas, tout en luttant contre la disparition des savoir-faire traditionnels. Face à la consommation rapide des contenus sur les réseaux sociaux, elle souligne l’importance de créer du contenu durable pour la transmission des savoirs. “À chaque fois que je fais des entretiens avec des artisans, j’ai cette espèce de responsabilité de dire je vais leur donner de la visibilité, je vais les rendre audibles.”
Le travail d’Anne Grosfilley nous offre une perspective précieuse sur la richesse et la complexité des textiles africains. Son engagement pour la transmission des savoir-faire traditionnels et la valorisation du travail artisanal est un appel à une consommation plus consciente et respectueuse des cultures. Pour en savoir plus, écoutez l’intégralité de son interview sur le podcast Africa Fashion Tour.
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